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La cigarette électronique vue d’ailleurs : l’exemple du Tchad

La cigarette électronique vue d’ailleurs : l’exemple du Tchad

Selon les experts en santé publique, la cigarette électronique serait moins dangereuse que le tabac et constituerait pour cela une opportunité efficace au sevrage tabagique.  Si cette affirmation peut sembler vraie pour les pays développés, il y a lieu de s’interro- ger sur les effets et les conséquences de la consommation de ce nouveau produit en Afrique  et notamment  dans les pays les plus pauvres, comme ici au Tchad.

En effet, avec la globalisation  des éco- nomies et des échanges facilités  par les nouvelles technologies de l’information et de la communication,  l’Afrique  n’est pas restée en marge de la société de consommation, qui jadis était  réservée à l’Occident. La jeunesse, qui constitue la clé de voûte de cette économie globalisée, est en même temps la cible privilégiée  des multinationales, qui franchissent  aisément les frontières  et imposent de nouvelles modes de consommation.

En ce qui  concerne la cigarette  électronique,  l’on observe dans bien des capitales  africaines  l’ouverture   de boutiques  proposant  ce produit.  Par contre à N’Djamena,  la capitale  du Tchad, une seule boutique  en vend, pour l’instant, à côté d’autres produits  de grande consommation.

Un  contexte de pauvreté généralisée

Le coût de la cigarette  électronique – l’équivalent de 20 euros – reste ici très  élevé pour  les couches défavorisées de la  population  africaine.  Le salaire journalier minimum du Tchadien est de moins de 3 euros par jour. Qu’un chef de famille  dépense la moitié  du budget du ménage à l’achat d’un paquet de cigarettes ou pour sa cigarette électronique va également contribuer  à l’appauvrissement  familial. Il faut  bien comprendre que la majorité  des Tchadiens sont confrontés au coût élevé de la vie, qui  les pénalise déjà durement  : plus  des trois  quarts  des habitants  n’ont  pas accès à des latrines  correctes et la majorité  d’entre eux ne bénéficient pas de l’eau courante ; le taux d’accès à l’électricité  ne dépasse guère 3 à 4 % de la population  du pays.

Le taux de prévalence du tabagisme est de l’ordre de 20 % chez l’homme et reste très faible chez la femme, même s’il se dessine une tendance inquié- tante  à une progression du tabagisme féminin.  L’introduction de la ciga- rette électronique dans un tel contexte ajoute un fardeau supplémentaire, inutile et évitable.

La  priorité : empêcher les jeunes de devenir fumeurs

Certes, l’aide au sevrage tabagique est importante, mais c’est souvent une approche longue, complexe et coûteuse, hors de portée des budgets fami- liaux et qui n’est pas perçue comme une priorité nationale dans le contexte des difficultés auxquelles  est confronté un pays pauvre comme le nôtre. L’urgence  ici,  c’est la  prévention  : il s’agit  impérativement d’empêcher, autant  que possible, les jeunes – cibles privilégiées de l’industrie du tabac – de s’initier au tabagisme. L’évolution démographique du Tchad, avec une population  de plus en plus jeune, fait qu’il y a dans ce pays beaucoup plus de fumeurs potentiels  que de fumeurs actuels, et il est urgent  avant tout d’empêcher l’industrie du tabac (ou de la nicotine) de transformer ces fumeurs  potentiels  en fumeurs  réels. La cigarette  électronique  offre une porte d’entrée nouvelle vers l’addiction  nicotinique et à terme vers le taba- gisme, qui risque de mettre  en échec notre politique  de prévention.  Nous n’avons pas les moyens de prendre ce risque.

Même si, pour l’instant, l’e-cigarette  est distribuée  par de petites sociétés indépendantes, on voit  que les multinationales du tabac sont en train de s’emparer de ce marché pour l’utiliser en synergie avec leur produit  tradi- tionnel. Comme avec la cigarette conventionnelle, on peut s’attendre à ce que ces compagnies se servent de la cigarette électronique pour piéger les jeunes Tchadiens dans l’addiction à la nicotine, en les entraînant dans le cycle d’une consommation compulsive, avec pour but  de ponctionner  une part  impor- tante de leurs revenus. Globalement, cette ponction appauvrit le pays car cet argent  ne  reste  pas chez nous  mais
quitte  le continent  pour aller  enrichir les actionnaires  occidentaux de ces multinationales.

En conséquence, alors que nous com- mençons à peine à enregistrer quelques succès dans la lutte  contre le tabagisme,  nous sommes soucieux de prémunir la jeunesse contre les inten- tions  des marchands  de tabac en les empêchant de promouvoir  ce nouveau produit  auprès des adolescents. Nous connaissons toute la puissance de leurs méthodes de marketing et savons qu’ils  peuvent allécher  notre  jeunesse en présentant la cigarette électronique comme le dernier gadget high-tech à la mode dont la possession et l’utilisa- tion deviendraient des symboles ostentatoires d’un style de vie occidental.

Éviter un  produit addictif de plus

En définitive, l’Afrique  n’a pas la nécessité d’un produit  addictif  de plus : nous avons déjà la cigarette conventionnelle, qui nous a été imposée depuis des décennies et qui  détourne  une partie  importante de nos ressources vitales pour satisfaire les besoins fondamentaux de nos familles – alimenta- tion, logement, éducation et santé – et pour améliorer la qualité de vie de nos populations. La jeunesse africaine, fer de lance de notre développement, doit avoir accès à des emplois décents et à des services de base efficients pour réa- liser  pleinement  ses formidables  capacités et prendre en main le futur de notre continent. Elle n’a pas besoin de cigarettes électroniques.

Quelle réglementation en France ?

Faut-il  interdire la vente des cigarettes électroniques aux mineurs ? L’interdiction de vente aux mineurs des cigarettes électroniques a été votée par le parlement français en juin 2013 ; elle est par- faitement justifiée, surtout concernant la vente de nicotine qui est une drogue puissante. La crainte du législateur est que les jeunes adolescents s’initient à la consommation de nicotine et deviennent dépendants à cette substance par l’usage des cigarettes électroniques, puis passent tôt ou tard à celui de tabac fumé. Le recul est actuellement insuffisant pour savoir si cette crainte est fondée ou non.
La publicité pour les cigarettes électroniques doit-elle être encadrée ? Le marketing de la cigarette électronique a évolué rapidement au cours des dernières années. Initialement, il était orienté vers les fumeurs en préconisant une possible réduction de risques. Maintenant, suite en particulier à la reprise progressive du marché par l’industrie du tabac, il est de plus en plus ciblé vers les jeunes afin de les amener à consommer de la nicotine. Aussi, les stratégies et techniques sont-elles désormais très proches de celles utilisées précédemment pour les produits du tabac. L’industrie du tabac réintroduit pour les cigarettes électroniques toute l’iconographie « glamour » qui a été associée à l’usage de la cigarette et assure le développement de nouveaux produits dont l’aspect est quasi identique à celui de la cigarette traditionnelle (voir l’encadré « Ploom »). Les mesures du Programme National de Réduction du Tabagisme (PNRT) annoncées par Marisol Touraine prévoient « d’encadrer la publicité pour les ciga- rettes électroniques qui sera définitivement interdite le 20 mai 2016 sauf sur les lieux de vente et dans les publications destinées aux professionnels de la vente du tabac et des cigarettes électroniques ».
Quel est le statut  souhaitable de la cigarette électronique ? La situation actuelle est encore incer- taine, qu’il s’agisse de la vente des dispositifs ou des produits consommés ; aucun statut ni réglemen- tation spécifique n’existe concernant leur vente en dehors des réglementations habituelles pour tous les produits de consommation humaine (exception faite pour la concentration de nicotine qui ne doit pas dépasser 19,9 mg/ml). Les opinions sont multiples et s’opposent en l’absence de connaissances rigoureuses concernant un produit dont l’usage peut être envisagé comme souhaitable pour les fumeurs qui ont arrêté de fumer, non efficace pour la santé des vapo-fumeurs qui continuent à fumer, non souhaitable pour les enfants afin de les prévenir d’entrer dans la dépendance à la nicotine. Les buralistes souhaitent vendre les cigarettes électroniques ; toutefois, il ne s’agit pas de tabac à propre- ment parler et leur pauvre respect de la législation au cours des années (concernant en particulier l’in- terdiction de vente aux moins de 18 ans et la législation sur la publicité sur les lieux de vente) devrait justifier que l’on ne leur confie pas la vente de la nicotine. La vente exclusive en pharmacie de la nico- tine par des professionnels responsables pourrait être envisagée ; ils peuvent donner des conseils sanitaires éclairés pour arrêter de fumer, et sont habitués à vendre des produits toxiques pour la santé (dont certains pour traiter des addictions tels que des dérivés morphiniques…).

 

Daouda Elhadj Adam

 

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